Elena G. Cavendish ◈ Barbara Palvin

Il est difficile de décrire sa propre vie. Car après tout, nous sommes loin d'être objectifs.
Tous nos souvenirs, toutes nos aventures, sont interprétées selon notre propre point de vue. Même si on voudrait bien être objectif, on ne peut l'être. Car on cherche à analyser, à comprendre, à expliquer. Pourquoi ai-je fait cela ? Comment cela m'est-il arrivé ? Mon existence est une succession de questions.

Je ne peux malheureusement pas vous raconter mes débuts. Je suis née à Londres, le 9 mars 1994. Mes parents faisaient partie de la noblesse anglaise, liés à la famille royale de Monaco par le côté maternel. Ce sont des faits, c'est indéniable, indiscutable, irrévocable. Je dirais que j'ai grandi normalement, aussi normalement que je pouvais être normale. A savoir pas du tout. Parce que quand j'ai eu 6 ans, la nouvelle est tombée : je n'étais pas normale, j'étais "gifted", comme ils l'ont dit. Surdouée, haut potentiel, zèbre,... les noms ne manquent pas pour me décrire. J'avais l'étiquette, et elle m'est longtemps restée accrochée autour du cou, comme si on indiquait un prix. Mon prix élevé demandait de l'attention, des efforts. Je ne le savais pas à l'époque, mais on a toujours eu des exigences élevées pour moi. Meilleure à l'école, plus de passions imposées, plus de perfection. C'était ce que l'on attendait de moi. Je m'y suis conformée sans broncher. J'ai appris à jouer du violon, j'ai été admise à Harvard, j'ai participé et gagné des concours académiques. Mais je m'étais découvert une passion : les langues mortes. Parce que c'était immuable, fixe et incompréhensible. Une seule phrase en latin peut aboutir à des traductions différentes selon le contexte, selon le caractère littéral ou littéraire de la traduction.

Sans m'en rendre compte, je m'enfermais dans ce monde intérieur. J'étais la seule à me comprendre. Plus ou moins. Ma logique a toujours été telle que j'étais la seule à la comprendre. C'était une des raisons pour lesquelles j'adorais le latin : j'apprenais, je découvrais, je faisais raisonner ma logique particulière et totalement adaptée à cette langue. Je me faisais des reconstitutions des mythes d'Ovide, j'assistais aux discours de Cicéron, je vivais la Guerre des Gaules. Et quand j'étais en société, j'étais présente de corps, mais pas d'esprit. Sans le savoir, j'étais devenue dépressive. Trop de tentatives de satisfaire mes proches, trop de pression personnelle, trop de solitude.

Et puis, j'ai été acceptée à Harvard. Et j'y suis partie. Pour mes parents, c'était le rêve : LA meilleure université de l'Ivy League m'avait acceptée non pas pour mon nom, mais pour mes capacités. J'y suis entrée en politique. J'ai tenu un mois avant de pouvoir changer de filière : langues et littératures anciennes, orientation classique. Le latin et le grec. J'aurais pu retomber dans mes vieux démons. Mais en arrivant, j'avais choisi d'être normale, et on m'avait mise en colocation avec une fille, de deux ans mon aînée. Très intégrée dans la vie estudiantine. Très populaire. Très différente de moi. Sans elle, je serais encore cette fille enfermée dans son esprit. Mais elle m'a prise sous son aile et m'a introduit au monde de la nuit. J'ai changé. Et surtout, j'ai découvert ce moyen imparable pour faire ce que je voulais depuis des années : arrêter provisoirement de penser. Cesser toute activité cérébrale, le temps d'une soirée. Cette solution s'appelait "Tequila". Et bien que ma résistance à la chose ait augmenté au fil des années, il n'en reste pas moins qu'elle ait un effet très puissant sur moi. Sur mon cerveau. Sur mes envies.

Durant mes 5 ans à Harvard, je suis passée de "renfermée sur moi-même" à "jeune femme confiante et sociable". Après, j'ai tendance à cacher cette partie délurée de moi-même lorsque je suis avec des gens que je ne connais pas. Qui sait sur qui on peut tomber ? J'ai appris que l'on est jamais mieux servi que par soi-même, et que parfois, il faut utiliser des moyens malhonnêtes pour arriver à ses fins.

C'est ainsi qu'après 5 ans, j'ai retrouvé ma famille. Mon petit frère que j'adore. Eux n'ont pas retrouvé celle qu'ils avaient laissée partir. Mais qu'importe. J'adorais celle que j'étais devenue. Mon frère ne s'en plaint pas. Loin de là. Les seuls "perdants" sont ceux qui avaient tenté de me rendre parfaite, de m'exhiber, et qui ont fini par me briser. Inconsciemment peut-être, mais le mal était fait... Je suis rentrée parce que mon frère me manquait. Je ratais les plus belles années de sa vie. Et puis, l'université de Londres m'avait proposé un poste de doctorante avec un assistanat d'un professeur de grec ancien. Tous les critères étaient réunis...  

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