Au panthéon des journées pourries, celle-là y avait une place de choix. D’une, parce que c’était une journée de boulot et que je n’étais pas tout à fait remis de mes dernières vacances. De deux, parce que la maison d’édition qui louait un de nos locaux avait visiblement fait éclater la tuyauterie. De trois, c’était le genre d’intervention qui n’allait pas me faire gagner un sou… bien au contraire. En gros, il était à peine 8h30 que je me retrouvais déjà dans le bureau du patron de cette entreprise, quelque peu embarrassé par l’ampleur du dégât. Alors que les employés continuaient de travailler dans la mesure du possible, l’étrange et grossier personnage qui dirigeait ce joyeux bordel me montrait en détail tous les recoins inondés. Oui, inondés. Agitant ses bras comme un comédien de théâtre, il n’avait de cesse de répéter qu’il ne comprenait pas, que c’était arrivé d’un coup et qu’il pleuvait partout depuis hier soir. En effet, je regrettais d’avoir sous-estimé ses paroles au téléphone. Un peu plus tôt, et alors je j’étais encore en train de dormir, il m’avait passé un coup de fil dés plus paniqué et m’avait supplié de venir de toute urgence. J’avais quelque peu hésité à prétexter une autre urgence pour ne pas avoir à me lever. En plus, je n’aimais pas ce gros bonhomme qui aboyait plus qu’il ne parlait. Effectivement, c’était une catastrophe. L’immeuble prenait l’eau au niveau du plafond et lui donnait un air de Titanic en plein naufrage. En attendant, des seaux placés là où il y en avait besoin limitaient la casse.
« Vous voyez, on ne peut plus utiliser que la moitié des bureaux, et je ne vous parle pas de nos archives. On n’est en train de tout déplacer en lieu sûr. » Me dit-il, un stress infernal dans la voix.
Moi, silencieux depuis le début, maudissant ce type qui n’ignorait pas que tout avait été rénové avant leur installation, je me demandais combien on allait devoir débourser pour réparer un merdier pareil. Poursuivant mon état des lieux en compagnie d’un expert qui ne cessait de marmonner des « et ben… », « Y’a du taf » et des « je vais avoir besoin de renfort », je suivais le patron dans son bureau, épargné par le dégât des eaux. Il nous fit asseoir dans de confortables fauteuils et se fit tout juste s’il ne nous proposa pas un cigare pour détendre l’atmosphère. L’air grave, semblant au bord du suicide, il continua de se lamenter de plus belle.
« Comment allez-vous faire ? J’ai besoin de travailler, je ne peux pas stopper mon activité comme ça. Vous imaginez ce que je dois sortir chaque jour ? Je ne peux pas me permettre le moindre retard, ce serait un désastre encore plus désastreux que toute cette eau. »Bon… C’était un peu exagéré tout de même.
« Nous allons faire le nécessaire ne vous inquiétez pas. » Il me fallait être rassurant face à un con pareil. En revanche, je m’interrogeais sur tout ceci.
« Nous avons tout réhabilité avant votre venu, les premiers états des lieux rigoureusement menés ont montré que tout était en parfait état suivant les normes en vigueur. »
Je n’avais aucune envie de rire, aucune envie de me faire tirer l’oreille par un type presque à l’agonie pour quelques travaux.
« Vous croyez vraiment que c’est de ma faute si l’immeuble est en train de couler ?! » S’énerva-il, pensant sans doute que je le suspecter de négligence.
« C’est à vous tout ça, je n’y suis pour rien si vos tuyaux lâchent au moindre pépin ! »N’y tenant plus, je répliquais d’une façon posée mais ferme.
« Vous m’avez appelé à la première heure ce matin, je suis venu. J’ai avec moi un expert en la matière qui travaillera jours et nuits s’il le faut pour ne pas vous faire perdre ni de temps, ni d’argent. Vous m’avez montré tout ce qu’il y avait à voir, nous allons faire le nécessaire sans attendre. C’est à nous de prendre en charge tout ceci, vous n’avez donc rien à dépenser. Monsieur, puis-je faire quelque chose de plus ? »
Revenant sur terre, comprenant qu’il allait sans doute un peu trop loin et que je n’allais pas rentrer dans son petit jeu, il se calma. J’avais simplement dit ce qu’il voulait entendre, assurant à mes oreilles de ne plus entendre hurler ce goret à moitié chauve.
« Je… Je suis heureux de l’entendre. » Fit-il alors que je restais toujours aussi impassible.
« Un café… Je vous offre un café ? »« Allons pour un café. »
J’étais sorti de chez moi comme un fou furieux, ne prenant qu’une douche sans rien avaler pour ne pas faire attendre mon client qui, heureusement, payait un loyer assez conséquent pour me faire réagir assez vite. Espérons juste pour cet abruti qu’un mug de café chaud ne l’excite pas davantage.
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