Quand on décide de se livrer... (Holden & Arthur)

   Tout finira par s'arranger. Je vais me réveiller. Naomi sera de nouveau là, tout ira bien avec Lucy, j'aurais de nouveau mon boulot, j'irais bien. Je vais me réveiller. Me réveiller de ce cauchemar perpétuel qui m'entoure chaque jours. Est-ce que j'y crois ? Non. Mais me raconter ces mensonges à moi-même m'aidait à ne pas sombrer plus loin dans cette folie qui m'avait presque poussé à sauter de ce foutu pont une semaine auparavant. Comment en étais-je arriver à ce point ? N'étais-je donc plus le petit garçon joyeux de la famille Callaghan ? La boule de bonne humeur et d'énergie qui arrivait toujours à rendre le sourire à sa famille ? Non. Non je ne l'étais plus depuis que j'avais pris la décision de revenir vivre à Londres. Depuis que j'avais décidé de me foutre dans la merde pour mes soeurs et que je n'étais plus qu'une boule de haine et de colère refoulée depuis trop longtemps.
J'avais pris l'initiative de ne pas sombrer plus et je m'étais inscrit par moi même à une séance de groupe. Parler aide, mais est-ce toujours le cas ? Sombre comme je suis devenus, noires comme mes pensées sont maintenant, ai-je encore une chance de ne plus céder à la tentation de la drogue et de l'alcool, mon seul moyen de sortir la tête de l'eau ces derniers temps ?
Bien évidemment, j'arrive en retard. Toujours. Un bonnet vissé sur la tête, un manteau deux fois trop grand, je ressemble plus à un sans abris qu'à un jeune homme plein de raison et qui à largement les moyens de vivre au dessus de ses besoins pendant encore une dizaine d'année. Au lieu de ça, on dirait que je n'ai pas pris de douche depuis une semaine alors même que je sens encore le savon de ma douche du matin. Je suis une contradiction à moi tout seul. Tout le monde est déjà bien en place et prêt à parler quand je débarque et c'est avec un sourire qui doit se vouloir bienveillant qu'on m'accueil pour me dire de m'installer. Ce que je fais assez rapidement et le plus silencieusement possible. C'est l'homme en face de moi qui prend la parole. Les traits de son visages en disent déjà long sur ce qu'il à pu vivre. L'enfer. Certainement. J'ai toujours cette habitude d'observateurs malgré la dépression qui m'envahit. Arthur, comme il nous l'apprend est donc tombé en dépression après le suicide de sa compagne. L'amour fait des ravages. N'est-ce pas ? J'écoute avec attention, observant sans détour la façon d'agir de l'homme qui a prit la parole, ses moindres mimiques, le moindre petit sursaut passe au crible. Je saurais détecter un menteur en une seconde et je peux vous assurer que lui, il a bien vécut une période des plus sombres.
Perdu dans mes pensées, je n'entends que distraitement qu'on s'adresse à moi. C'est donc mon tour de me présenter ? Je suis le dernier, évidemment, il ne reste plus que moi. J'ai été distrait assez longtemps pour ne pas en savoir plus sur les autres.
« Je ... j'm'appelle Holden. Je, je sais pas trop si je suis en dépression où s j'y tombe. Je... j'ai tout perdu. Mon boulot, ma stabilité familiale et je ne sais plus où j'en suis dans ma vie. J'ai commencé à boire et à me droguer... je crois que c'est ça qui m'a poussé dans le gouffre. » à dire vrai, je ne savais même pas si c'était ça que je devais dire. En dépression, je l'étais certainement, mais est-ce que j'avais ma place ici au milieu de ces gens qui avaient vécu le pire, perdu un proche ?
   

Quand on ressasse trop ses idées noires, on finit par ne plus penser qu'à elles. Et je me rend compte que je ne suis pas le seul à penser ça quand j'écoute les autres parler autour de moi. Comme j'en avais déjà l'habitude avant, je prend part aux discutions, mais suis-je réellement à ma place ici ? Avant j'y venais pour apporter mon aide aux gens, les aider à trouver des solutions, alors pourquoi je suis incapable d'en trouver une pour moi ? Je me sens minable et pathétique. L'homme qui me fait face se détache des autres, dans sa façon d'être mais particulièrement dans son silence. Il ne participe pas et ne semble pas non plus écouter tant que ça ce que nous disons. Si j'ai trouvé une certaine place dans la conversation, celui qui se nomme Arthur est bien plus en retrait et mon habitude d'analyser tout ce qui m'entoure me permet de remarquer tout ceux qui méritent une attention particulière. Ceux qui semblent plus briser que les autres ou simplement plus distant.
Une pause est accordé au groupe, un moment de petite détente pour faire plus ample connaissance les uns avec les autres autour d'une collation ou bien pour prendre l'air. Habituellement, je serais sortie fumer une cigarette bien mérité, mais je n'en avais pas envie aujourd'hui et j'avais plutôt été me servir un verre de soda. Et alors que je terminais mon verre et le reposais sur une table, une voix m'interpella. Arthur. Il se tenait devant moi et je hochais la tête quand il me demanda si j'étais bien Holden. Il me tendit une main que je serrais avec un sourire que je voulais amical. Il me demande ensuite depuis quand je suis en dépression et je laisse échapper un petit rire amer. Rien de méchant envers lui, mais plutôt envers moi.
« Depuis quand ? Honnêtement je n'en sais rien. je dirais quatre mois. Je ne sais pas vraiment quand je suis tombé réellement. » laissais-je échapper en fixant mes mains abîmées par les nombreux murs frappés lors de mes accès de colère. J'aurais bien retourné la question, mais je n'en ressentais pas la nécessité. Contrairement à moi, s'il était tombé en dépression c'était pour des raisons bien plus douloureuses et je ne souhaitais pas être celui qui remuerait le couteau dans la plaie.
   

J'ai perdu le fil de ma vie comme j'avais perdu ma confiance en moi. Avec le temps, les batailles changent et deviennent bien plus dures. Si j'avais eu mes soeurs et mon oncles lorsque j'avais dû me battre contre mon anorexie au lycée, aujourd'hui, je n'avais plus que moi pour m'en sortir. Venir ici était réellement une tentative de m'en sortir alors que je savais déjà que je ne reviendrais plus.
« J'ai participé à tellement de séance de ce genre en étant de l'autre côté, de ceux qui donnaient des conseils et non pas qui en avaient besoin. Je sais déjà ce qu'il en est de moi et je ne part pas pessimiste, je voulais juste essayer. » Je place chacun de mes mots avec une assurance que je ne me connaissait plus. Depuis quand n'avais-je pas eu de discours aussi clair ?
J'écoute avec attention les raisons qui ont poussé mon interlocuteur à se rendre à cette réunion d'écoute. Je pouvais bien le croire quand il me disait qu'il préférait être ici plutôt que d'écouter sa soeur lui répéter toujours la même chose. N'aurais-je pas fait pareil pour éviter les reproches de l'une de mes soeurs ?
« Je peux bien comprendre que ce soit plus facile de se rendre à cette réunion. Je n'aurais pas fais autrement. » Il se frotte les mains et me demande si ça me dérange pas de sortir dehors, pour qu'il puisse fumer. Je ne vais pas refuser, je ne serais pas contre me détendre un peu en fumant moi aussi un coup. « Je ne serais pas contre m'en griller une aussi, alors je te suis. » laissais-je échapper, pensant à combien j'aurais plutôt besoin d'un joint en ce moment. Bien que j'essaie de m'éloigner de tout ça, quand on sombre de nouveau, il est difficile de ressortir la tête de l'eau. C'est comme si on coulait encore et encore sans que ça ne s'arrête jamais.
   

Depuis quand n'avais-je pas fumer une cigarette avec quelqu'un ? Depuis quand en fait, n'avais-je pas parler à quelqu'un tout court ? Pour de vrai je veux dire, sans être obligé de sourire et de dire « salut, oui ça va bien sûr. » sans y penser une seule seconde. Nous nous retrouvons rapidement à l’extérieur et je ne tarde pas à aspirer une bouffée mortelle. La cigarette entre les lèvres, je lance un regard circulaire autour de nous. Un parking quasiment désert, des lampadaires qui grésillent. On se croirait dans un de ces épisodes de série US où on s'apprête à agresser le protagoniste. Je n'avais pas fumer de cigarette industrielle depuis des années, pas parce que j'étais de ces bobos qui ne fumaient que du tabac à rouler, mais parce que j'avais pris l'habitude de le faire, en traînant avec des gens qui faisaient avec ce qui venait. Et ce qui venait le plus facilement quand l'argent ne passait plus que dans les clopes, c'était le tabac à rouler. Mais je n'irais pas dire que ça me dérangeait, ça changeait de mes habitudes et ça ne faisait pas de mal.
Arthur finit par me demander si j'ai moi aussi des problèmes avec des membres de ma famille et je me laisse aller à tout dire sans hésiter. Entre le départ de Naomi, les tensions avec Lucy et l'absence de nos parents, je ne sais pas ce qui est le pire.
« Pour être honnête, ma soeur Naomi fait la Une des journaux parce qu'elle a planté son fiancé, le fils Lawford, avant le mariage pour quitter le pays et on a plus aucune nouvelles depuis... Je me suis pris la tête avec mon autre soeur à cause de cette histoire et je n'ai toujours pas eu le courage de lui dire que j'avais perdu mon emploi... C'est en grande partie pour ça que je suis ici aujourd'hui. Parce que je n'assume pas.  »
   

Si je n'avais pas su être là pour mes soeurs quand elles avaient besoin de moi, aujourd'hui, chacune ayant bien réussi à s'en sortir sans moi, je n'étais plus d'aucune utilité. J'avais beau être le plus jeune de la famille Callaghan, j'avais toujours voulu porté le poids du rôle que mon père n'avait pas tenu, sur mes épaules. J'étais l'homme de la maison quand oncle Cal n'était pas là et je me devais de les soutenir qu'importe leurs décisions. J'étais loin d'en vouloir à Naomi pour son départ, si ça lui permettait d'être heureuse, je ne pouvais que consentir à sa fuite, mais qu'elle ne donne plus de nouvelles à Lucy me faisait me sentir coupable. Tout était parti réellement en vrille quand j'étais partie pour la France, mes soeurs ne faisaient plus semblant que tout allait bien parce que je n'étais plus dans les parages et le départ de Naomi n'avait pas aidé à sa bonne entente avec Lucy. J'ai toujours détesté les conflits dans la famille, nous nous devions d'être unis parce que nos parents étaient quelque part dans le monde et ne nous donnaient de nouvelles qu'une fois dans l'année. J'en voulais à Lucy de ne pas avoir respecté cela quand j'étais avec elle, je lui en voulais d'en vouloir à Naomi. J'en voulais à Naomi d'avoir blessé Lucy. Et plus que tout, je m'en voulais de ne pas avoir vu venir les choses.
« Le prolème c'est que parler avec Lucy c'est comme parler à un mur. Quand elle a une idée en tête, elle n'en change pas. Et j'ai beau aimer ma soeur, elle m'exaspère tellement sur ce point que j'en deviens dingue. » et pour la première fois depuis bien longtemps, je laisse échapper un petit rire sincère, repensant à toutes les fois où Lucy la bornée nous faisait la misère à Naomi et moi parce qu'elle voulait quelque chose et que ça ne nous plaisait pas. Allez donc expliqué à une gamine de six ans que non, elle ne peut pas jouer le rôle du chirurgien parce qu'on est en train de rejouer une scène du Roi Lion et qu'elle doit jouer un Lion et pas autre chose. Je vous jure que c'était beau à voir.

Et plus j'en dévoilais sur moi, plus je me rendais compte qu'il m'était plus facile de m'ouvrir à un inconnu, c'est vrai que je ne connaissais rien d'Arthur si ce n'est son prénom et la raison de sa venue ici. Mais aurais-je le courage de poser des questions ? J'en doute. Je me sentais presque gêné de m'ouvrir ainsi à quelqu'un que je ne connaissais ni d’Ève ni d'Adam. Mais n'étais-ce pas le but de ces réunions ?

Tirant de nouveau sur la cigarette que je tenais entre mes doigts, je levais les yeux au ciel un instant et respirait un bon coup, comme pour me détendre après m'être dévoilé. La question qui résonne à mes oreilles à présent me fait comme un pincement au coeur. Quel boulot je fais ? Que boulot je faisais ?


« Je suis, enfin j'étais, pilote de course moto. Ancien champion benjamin des courses du Mans. »  Et ça me manque, mon Dieu ce que ça me manque, les courses, l’adrénaline avant le démarrage, la pression. 

Je n'étais apparemment pas le seul à avoir eu quelques soucis avec ma famille, je n'avais jamais eu de disputes avec mes soeurs, j'étais toujours celui qui arrangeait les choses, avant. Peut-être avais-je eu tord de laisser ma colère prendre le dessus lors de mon retour, peut-être pas. Mais la pression accumulé entre mon départ de France et le stress d'avoir à avouer à mes soeurs que j'avais volontairement détruis ma carrière pour les voir n'avaient pas aidé.
« Je n'aurais pas dis mieux. Je ne sais pas ce que je serais devenu sans elles et depuis que je n'ai plus de contact avec mes soeurs, je ne suis plus qu'une sombre épave. » En y repensant, si je n'avais pas eu cette histoire avec Lucy, tout irait pour le mieux. Sans elle et sans Naomi je n'ai plus de véritable pilier.

Je n'avais pas la moindre idée des conséquences que pourraient avoir ces confessions sur moi, mais je me sentais libéré au fur et à mesure que j'en parlais. La réunion n'allait pas tarder à reprendre mais je ne me sentais pas d'y retourner pour autant. Parler des problèmes des autres n'était plus ma priorité. Plus aujourd'hui alors que ma vie sombrait aussi rapidement que le titanic.

« J'ai commencé la moto quand j'étais gosses, c'est tout ce que j'ai qui me rattache à mon oncle. Il nous a élevé mes soeurs et moi quand nos parents étaient sur les routes pour leur boulot. Ne plus pouvoir concourir c'est une sorte de décéption. Je ne sais pas comment il réagira sur ce point et ça m'inquiète. Il n'en sait rien de toute façon, il me croit toujours en France. »  Je laisse échapper un soupire avant de relancer un autre sujet, ne souhaitant pas m'attarder sur ce qui me blessait le plus. « Et vous ? Qu'est-ce que vous faite dans la vie ? »